Il me raconta l’histoire ainsi : c’était en août 1939. Dans
les années vingt, son père avait été un boxeur mi-lourd d’un bon niveau
puisqu’il avait été champion de je ne sais plus quoi. Cela se passait dans un
café, à Dijon, boulevard Carnot.
L’ex-boxeur avait un peu forcé
sur le Cinzano.
— Regardez les gars : c’est mon fils. L’est
costaud.
— Ouais, c’est l’costaud des Batignolles, dit
l’un.
— Un futur champion de boxe, hein Ferdinand ?
dit un autre.
— Ouais, mais y a pas que le muscle. Faut
aussi de la souplesse. Important ça, la souplesse dans la boxe. Important,
ouais...
— Ah…
— Tenez, moi je pourrais encore remonter sur
un ring. J’ai gardé toute ma souplesse, affirma l’ex-boxeur.
— Exagère pas Ferdinand, dirent-ils en chœur.
— Ben j’dis vrai. Puisque j’ vous l’ dis.
Ferdinand demanda un balai au taulier qui
le lui passa par-dessus le bar.
— Regardez, m’en va vous montrer.
Et il plaça le balai devant lui
à hauteur des genoux, bras tendus. Il prit sa respiration...
Bon, ça aurait pu être ça...
Seulement les semelles des
souliers fatigués de Ferdinand bâillaient un peu. Elles accrochèrent le manche.
Du coup, l’ancien boxeur, projeté en avant, se fracassa sur le rebord du zinc.
Les autres aidèrent Ferdinand à
se relever. Bouche et nez en sang.
— Allez p’tit, ramasse les
dents d’ ton vieux, fit l’un deux.
Neuf jours plus tard éclatait
la guerre.
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