Gutenberg et la révolution numérique

      Dans son article, J'ai tué la librairie Arthaud de Grenoble , Didier Lebouc met le doigt là où ça fait mal !
En fait, faute d’avoir anticipé la révolution industrielle et commerciale provoquée par internet, nos décideurs de tout poil et de tout bord cherchent des raisons alambiquées à ce qu’ils nomment la crise.
Mais je voudrais seulement me borner ici à évoquer le cas du livre. Si nul ne conteste le prix unique du livre en France imposé par Jack Lang, le fait d’interdire au e-commerce (comme Amazon) d’envoyer des livres gratuitement aux clients est d’une stupidité sans nom. D’abord, c’est une mesure inapplicable pour l’instant à l’eBook. Or, de plus en plus de lecteurs choisissent ce format notamment pour les raisons invoquées par Didier Lebouc.
Ensuite, prenons l’exemple que je connais bien, et pour cause, des expats ou des habitants de l’outremer : internet est notre seul moyen d’échapper aux prix exorbitants des postes de tous les pays et particulièrement de La Poste française qui, au passage, dans les DOM-TOM et particulièrement en Guyane, est un peu à la ramasse pour ne pas dire plus, afin de ne vexer personne... Alors, va-t-on maintenant faire payer la livraison des eBooks ?!

Accès à l'information & à la culture

Je suis abonné à un quotidien (Le Monde pour ne pas le nommer) dans sa version numérique.  Je fais des achats sur Amazon ou la Fnac. Sans internet, je ne crois pas que depuis l’Amérique latine je pourrais facilement lire un quotidien européen (du soir qui plus est !), un auteur qui vient de sortir son dernier bouquin, etc., au passage, je m’étonne que Le Canard Enchaîné n’ait pas encore fait le nécessaire pour satisfaire ses abonnés en version PDF... donc oui, je suis un adepte à la fois d’internet et du format eBook. Avec une réserve toutefois : le prix souvent prohibitif du livre numérique pratiqué par les Galligrasset et autres Albin-Michel sont ubuesques dans bien des cas ! Car les éditeurs et les libraires, avec l’informatisation et l’arrivée de l’impression à la demande, voient quand même leurs coûts sensiblement baisser. Cette baisse, naturellement ils ne la répercutent nullement (ou rarement) sur les prix de vente. Je parle de ça, parce qu’un de mes éditeurs papier vient de m’aviser qu’il passait à cette nouvelle technique sans bien sûr baisser le prix public du bouquin !
Les grands éditeurs, qui ne sont plus les éditeurs d’antan chérissant leurs auteurs, sauf si celui-ci reste plusieurs semaines dans la liste des best-sellers du NouvelObs, ces grands éditeurs qui réclament encore à corps et à cris le renforcement de l’exception française sont maintenant des multinationales comme les autres ! Les groupes Hachette ou Flammarion ont bien plus en commun avec Amazon ou Kobo qu’avec la petite librairie-éditrice de province qui se bat pour survivre tout en proposant de la littérature de qualité, essayant de ne pas céder aux modes people. Des éditeurs comme Ibis Rouge par exemple auront fait bien plus pour l’outremer que les groupes Philippe-Hersant ou Hachette !
Quant à affirmer que livrer des bouquins gratuitement est une concurrence déloyale, c’est un non-sens. Ou alors pour d’autres vendeurs de livres par correspondance ayant largement pignon sur rue. Car enfin, si je vais dans une petite librairie du coin et que j’y fais l’acquisition d’un livre, le petit libraire en question ne va pas me le livrer gratuitement ou pas : je repars avec mon achat, non ?
Certes la vieille Europe est encore loin derrière les États-Unis pour ce qui est de la lecture numérique. D’ailleurs je comprends tout à fait les lecteurs encore allergiques aux tablettes et autres liseuses et moi-même je ne boude pas mon plaisir à manipuler et lire un vrai livre. Si je me place côté auteur, et notamment au Canada et aux USA, s’il est vrai que beaucoup d’écrivains commencent à gagner plus en version numérique qu’en version papier, ils y perdent parfois en notoriété. Mais avec le temps, et en ce moment le temps va vite en la matière, cela va s’atténuer.
En France, je sais d’expérience que la littérature uniquement numérique est plutôt dévalorisée. Toutefois, il y a quelques hussards qui sont loin d’être des inconnus et des écrivaillons de seconde zone comme François Bon ou Marc-Édouard Nabe qui se sont lancés dans l’aventure depuis un petit moment déjà.

Tu as vécu par le libéralisme, tu mourras par le libéralisme !

L’autre jour, un auteur jeunesse publié depuis vingt ans de façon traditionnelle écrivait s’être lancé dans le numérique et avoir enfin découvert... la liberté. Pour la première fois, il pouvait faire sa couverture, sa mise en page, choisir lui-même son titre et surtout écrire ce qui lui plaisait vraiment sans être obligé de subir les corrections de « ceux qui savent » et qui n’ont jamais été fichus d’écrire correctement une  phrase ou deux ! Et ne parlons même pas de la rémunération dont l’essentielle va à la distribution et à l’éditeur, l’auteur ne recevant royalement que 7 ou 10 % du prix public H.T., quand il est payé ! Sans compter (c'est le cas de le dire !) que l'auteur reste propriétaire de tous ses droits !
Je ne milite pas pour le tout numérique. Mais il serait temps que les (grands) acteurs du livre en France changent leur fusil d’épaule et cessent de vouloir bêtement résister aux opportunités offertes par l’internet. Ils sont un peu comme ces pseudo-scientifiques londoniens du début du XIXe siècle qui soutenaient que le train serait source de toutes les vilenies possibles et inimaginables.
Aujourd’hui, en donnant radicalement tort à Marshall McLuhan et en réhabilitant de façon magistrale Gutenberg, le Web agace prodigieusement ceux qui voient leur petit empire du savoir (et du savoir-faire) s’éroder doucement. L’agressivité d’un BHL ou d’un Finkielkraut envers internet n’est-elle pas d’abord l’expression de leur irritation ? Celle de ne plus être les omniscients savants à tenir indéfiniment un crachoir. Une tribune que maintenant le commun des mortels peut s’approprier avec un simple terminal !

Après tout, les grands éditeurs, les médias, les décideurs et nos chers chroniqueurs à la petite semaine ont eux-mêmes fait le lit d’un libéralisme à tout crin ! Alors qu’ils assument ! Aucune mesure, aucune loi ne pourra ralentir la révolution numérique dont découle une nouvelle approche culturelle tendant à se démocratiser... (À condition que l’internet soit accessible partout à des coûts modérés, ce qui est encore loin d’être toujours le cas).

Petite mise à jour: Amazon ridiculise la Ministre de la culture française en fixant à... 1 centime les frais de livraison pour ses livres. Lire sur le site du Nouvel Observateur.

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